Patrick Leterme : "La question qui m'a beaucoup intéressé sur ce projet, c'est celle des racines"

image_664

A l'approche de la création de son œuvre "La Revanche de l'Arbre", Patrick Leterme revient sur la genèse du projet et sur son geste artistique.

Compositeur, pianiste et directeur musical formé aux Conservatoires de Liège et de Cologne, Patrick Leterme mène depuis plusieurs années des projets à la croisée de la scène, de la radio et de la télévision, avec le souci constant d’allier exigence artistique et accessibilité. Du 26 au 28 septembre, sa nouvelle oeuvre sera créée au Palais des Beaux-Arts de Charleroi : La Revanche de l’Arbre, une vaste fresque chorale et symphonique inspirée des poèmes wallons d’Henri Simon. À cette occasion, il nous parle de son œuvre, de ses origines, de son processus créatif et de la place qu’y occupent les musiques traditionnelles de Wallonie.

Qu'est-ce qui t'a donné envie de te lancer dans ce projet ?

A la base, le regret de ne pas avoir appris le wallon de mes grands-parents, qui étaient fermiers dans le Pays de Herve. Et la question du pourquoi de cette rupture de transmission. A l'arrivée, le projet dépasse largement (j'espère) ce point de départ, grâce aux deux magnifiques poèmes d'Henri Simon sur lesquels je suis tombé en me documentant. C'est désormais l'histoire de la mort, de la vie, de la transmission de cette dernière, et d'un terroir, de racines et de nature partagées. En filigrane de tout cela et de l'adaptation musicale de ces poèmes, il y a aussi l'amour qu'avait ma grand-mère pour le chant, elle qui a élevé cinq enfants en travaillant à la ferme, mais qui a aussi dirigé la chorale de son village, sans avoir pourtant eu l'occasion d'avoir le moindre cours de musique. Cet amour spontané du chant en tant que pratique amateur, ça me touche énormément.

Quelles sont tes inspirations et quel a été ton processus créatif musical ?

Il y a une foule de choses et ma réponse ne peut qu'être incomplète. Mais disons que se mélangent dans la partition de Li R'vindje di l'Åbe : le monde que m'évoque les textes d'Henri Simon, les couleurs, ambiances que j'ai essayé de suivre au mieux en musique (Schubert est mon icône absolue quant au rapport entre texte et musique) ; des effluves de vocalité traditionnelle, liée à notre folklore (avec néanmoins très peu voir quasi aucune citation directe). Le rapport entre musique populaire et musique symphonique écrite m'a intéressé aussi, et il a été largement exploité à l'époque où Henri Simon a écrit ces deux poèmes, c'est-à-dire au début du XXe siècle (par Mahler, De Falla, Stravinsky...). Tout cela est mêlé évidemment à ma sensibilité et à mon métier de compositeur, et il ne s'agit absolument pas ici d'ingrédients distincts et nettement identifiables les uns par rapport aux autres. En termes de processus, j'ai travaillé sans trop réfléchir, avec une structure globale assez claire offerte par le texte, mais sans matériel musical prédéfini, et en partant une fois par mois à la campagne dans la région de mes grands-parents pour isoler des périodes de concentration intenses.

Pourquoi les musiques traditionnelles de Wallonie sont-elles à tes yeux un matériau créatif intéressant et valable, à l'heure d'aujourd'hui ?

La question qui m'a beaucoup intéressé sur ce projet, c'est celle des racines. Le questionnement sur la perte d'une langue régionale s'est mué en la sensation d'être orphelin en termes de folklore. Parmi mes proches, certains parlent basque ou breton, d'autres ont le flamenco andalou pour musique folklorique : pour un Sévillan, le flamenco est tout simplement le patrimoine de son quartier. En tant que Wallon, la sensation d'avoir une musique, une danse à soi est bien plus fragile. Les musiques de carnaval - dont certaines sont protégées par l'UNESCO - représentent un patrimoine immatériel important, et de transmission orale ; elles sont intégrées à ce spectacle. Mais j'ai aimé me documenter sur les inflexions vocales de nos régions - sachant que par moment, la conclusion est aussi parfois de remarquer que les frontières étaient déjà très perméables aux siècles passés, et que notre spectacle n'a aucune vocation identitaire fermée bien sûr.