Saint Nicolas (2/2) : la fête des enfants sages en chansons

La Saint-Nicolas compte parmi les fêtes qui nous ont livré le plus de chansons. Petites rengaines ou histoires chantées, anciens ou récents, ces chants montrent la diversité des traditions entourant le grand saint en Belgique romane. Balade sonore dans l'univers mi-sacré, mi-magique de saint Nicolas. Il y est question d'enfants sages, de carottes, de nuages.... et de cadeaux, bien entendu.

Un saint patron... parmi d'autres

Aujourd’hui, saint Nicolas est connu le plus souvent comme patron des écoliers. C’est notamment en raison de la chanson Ô grand saint Nicolas, sans doute la plus célèbre qui lui ait été consacrée, encore largement répandue dans les écoles du 21e siècle. Cette chanson a été collectée un peu partout en Wallonie, avec de multiples variantes. Elle se chante généralement sur L’air du traderidera, une mélodie probablement composée par le franco-belge Jean-Baptiste-Joseph Tolbecque dans les années 1830. L’air apparaît, en tous les cas, dans son célèbre Galop des tambours, interprété à plusieurs reprises au carnaval de Paris.

En réalité, dans le répertoire collecté durant le 20e siècle, Saint-Nicolas apparaît davantage comme le patron des enfants. Il faut dire que les écoliers avaient déjà leur saint patron en la figure de saint Grégoire. Célébrée le 12 mars, la Saint-Grégoire était fêtée un peu partout en Wallonie, avec des rites bien établis. Il s’agissait généralement d’une quête de maison en maison, lors de laquelle les enfants récoltaient de quoi préparer gaufres ou omelettes. Un répertoire chanté accompagnait ce périple. Il a été capté à Vyle-et-Tharoul par le micro de Paul André en 1955 : 

Même au tournant de l’hiver, saint Nicolas n’était pas le seul à choyer les enfants. Dans l’ouest du Hainaut, les petites filles recevaient leurs cadeaux de sainte Catherine, la nuit du 25 novembre, tandis que les garçons devaient attendre le passage de saint Nicolas le 6 décembre. Célébré le 11 novembre, saint Martin est aussi un protecteur des enfants. Encore fêté en Flandre et dans les cantons de l’est, son rôle se confondait par endroits avec celui de saint Nicolas, comme distributeur de cadeaux. A Malmedy, les enfants passaient de maison en maison le jour de la Saint-Martin, chantant leur C'ésteût lès veûyes du Sint Mârtin :

En fait, il semble que saint Nicolas ait supplanté assez tardivement les autres saints protecteurs des enfants, vers la fin du 19e siècle. La commercialisation de sa fête par les fabricants et vendeurs de jouets y fut peut-être pour quelque chose, comme le suggère Oscar Colson, fondateur de la revue Wallonia, dans un article publié en 1898 (voir bibliographie en fin d'article). C’est sans doute à ce moment-là que saint Nicolas commença à être qualifié aussi de patron des écoliers. Les chansons ne le présentent pas moins, dans leur grande majorité, comme le saint des enfants, plus particulièrement comme celui des enfants sages.

Saint Nicolas, c’est un saint, un personnage sacré, à qui l’on s’adresse comme tel. D’où de nombreuses traditions de chansons-prières, où l’enfant s’adresse à genoux au grand saint pour lui montrer son bon comportement… et glisser l’une ou l’autre suggestions de présents. Dans la seconde de ces deux chansons, captée à Visé en 1972, la prière s’apparente presque à un psaume :

Sur un mode plus léger, saint Nicolas est aussi souvent dépeint comme un ami, voire un cousin. De nombreuses courtes chansons, en français ou en wallon, s’adressent à lui amicalement pour lui demander des cadeaux. Comme le fameux Saint Nicolas bonhomme, déjà transcrit en 1897 par Oscar Colson, et dont il existe d’innombrables variantes. 

Si saint-Nicolas est là pour récompenser les enfants sages, la punition des mauvais comportements n’est jamais loin. Le père Fouettard - Hanscrouf à Liège - est discret, mais sa présence se rappelle au détour de certains couplets. Dans les différentes traditions de Saint-Nicolas, les cadeaux du grand saint ne vont jamais sans leur pendant, le châtiment qui menace les enfants difficiles. Et ce dernier n'est pas que symbolique :

Cela dit, la crainte de la punition n’empêche pas certains couplets plus irrévérencieux de circuler, comme cette (gentille) moquerie en wallon qui circulait dans la région liégeoise : 

Autour du 6 décembre...

A l'approche de la fête

Oscar Colson, a publié en 1897 et en 1898 dans Wallonia deux articles très fournis sur les traditions autour de la Saint-Nicolas en Wallonie. Il nous raconte que dans beaucoup d'endroits, c’est déjà dès novembre que monte doucement l’effervescence et que « l’effet Saint Nicolas » se fait sentir jusque dans les classes d’école. Le grand Saint rôde et enquête déjà afin de savoir qui féliciter et qui corriger. Peu d’enfants oseraient défier Saint Nicolas, de peur d’être oubliés la nuit du 6 décembre ou de retrouver au pied de la cheminée des crottes d'âne, voire des verges (fines branches dont on se servait pour les châtiments corporels) trempées dans le vinaigre... 

L’approche de cette fête ne manque donc pas de rappeler les petites têtes blondes à l’ordre. Il faut dire qu’à la fin de t'automne, les enfants délaissent les espaces verts et reviennent dans les maisons. Saint Nicolas canalise donc les plus turbulents dans les foyers jusqu’à sa venue et les nouveaux jouets occuperont tout ce petit monde durant la période froide. Tout le monde s’y retrouve : les parents, les enfants – et, d’après O. Colson, la toute jeune et florissante industrie du jouet.

Il apparaît que la tradition des petits présents, en amont de la nuit tant attendue, était très répandue en Wallonie. Les chansons en l’honneur de saint Nicolas sont également reprises en famille durant cette période et sont parfois interrompues par une volée de noix ou de sucreries dans la cheminée, comme raconté dans cette chanson en wallon collectée dans le Condroz :

C’est bien vite la fête de saint Nicolas, 
Il va venir chargé comme un baudet.
Nous n’aurons plus de couques et de djuséye (boisson à base de réglisse)
Ni de bonbons jetés par la cheminée. 

La veille du 6 décembre

Le Baron Reinsberg-Düringsfeld décrit dans son livre Traditions et légendes de la Belgique (Bruxelles, 1870) les habitudes propres à chaque région à la veille de la fête.

A Liège et à Spa c’est un soulier ou un sabot -qu’on aura pris grand soin de nettoyer-, qui est déposé devant la cheminée ; dans en Ardenne et le Hainaut, on lui préfère une corbeille ; à Mons, les enfants auront confectionné un grand panier en papier et à Namur, c’est un soulier en papier décoré d’un nœud qui sera déposé. Tout cela est disposé dans l’espoir de les retrouver remplis de présents.

Les enfants pensent également à prendre soin de saint Nicolas et de son âne : on prépare un petit remontant ainsi que du foin, une carotte, de l’avoine ou encore, comme dans en Ardenne, des pelures de pommes de terre. Et par endroit, on pensera également à son valet, "Hanscrouff" à Liège ou ailleurs "Père Fouettard", en ajoutant une chique de tabac. 

On retrouve cette atmosphère de branle-bas qui règne dans les foyers à la veille du 6 décembre dans bien des chansons :

Avant de se coucher, les enfants rechantent en famille les plus belles chansons en l’honneur de saint Nicolas, comme par exemple cette chanson collectée par Françoise Lempereur mais déjà transcrite par Oscar Colson en 1897 dans le Pays de Liège, sur l’air du Valeureux Liégeois, ou encore cette autre chanson relatant bien l'état émotionnel des bambins au moment du coucher, entre excitation et angoisse...

Bien des chansons nous décrivent les présents qu’il est courant de recevoir lors de cette fête. Alors que la mandarine est la reine des assiettes de la Saint-Nicolas de nos jours, ce sont plutôt les noix, pommes, raisins et amandes qu'on y retrouve à l'époque. Les sucreries sont déjà bien présentes : bonbons, figures en pain d'épices, en massepain ou en sucre...

Au rayon des "joujoux", pour les filles on préférera la traditionnelle pope (poupée) et pour les garçons, la panoplie du soldat : cheval de bois, petit fusil de bois, tambour ou trompette et petits soldats. 

Dans certaines chansons, on remarque que les souhaits peuvent aussi porter sur des présents plus utiles, tels que de nouveaux vêtements ou encore des affaires d'école. Ainsi la chanson Binamé Sint-Nicolèye, collectée plusieurs fois dans la province de Liège par Françoise Lempereur, et plus précisément dans la version de madame Moor-Andrien, originaire de Feneur (Dalhem) dont les paroles en wallon décrivent une prière à saint Nicolas. On y retrouve beaucoup d'éléments typiques de cette fête : les volées de bonbons dans la cheminée, la liste détaillée, l'attention pour l'âne de saint Nicolas et surtout les promesses de bon comportement...

Bien aimé saint Nicolas, 
A deux mains jointes, je prie. 
En attendant la fête du saint patron, 
Ne m'oubliez pas en passant.
Si je vous adresse ma prière, 
C'est parce que j'ai entendu dire
Que vous jetiez par la cheminée
De bonnes choses pour les enfants.

Il faut, grand saint, que je vous dise,
j'ai eu cette idée
Pour que vous ayez plus facile,
(...)
Et s'il fallait enfouir un défaut,
j'ai déjà fait la sotte. 
J'ai fait une grande liste
Que je vais dire avec joie.

Premièrement vous me feriez plaisir
De m'apporter un bon vêtement 
Pour me protéger du grand froid
Quand l'hiver se fait sentir.
Vous feriez l'affaire à merveille 
Si les pots étaient remplis 
De toutes les bonnes sucreries 
Venant du paradis.

A propos, je vais à l'école,
Je n'ai pas encore de mallette, 
Les livres s’abiment et s'envolent
Quand je les porte dans mes mains. 
Ensuite je voudrais pour écrire,
Car j'ai une petite main habile, 
Des plumes qui écrivent avec manière
Et le manche pour les mettre dedans.

A l'école on apprend la musique,
Il faudrait pourtant, ma foi,
Aller me chercher dans votre boutique
Un de vos beaux petits violons.
Choisissez pour moi le plus beau
Qui sonnera les airs de chacun, 
Des chansons que dans notre commune,
On chantonne en wallon.

Pour mon papa, je voudrais une belle blague (à tabac), 
Qui serait remplie 
Des meilleurs tabacs
Et une pipe tout en bois.
Et comme il va à la tenderie (chasse à la grive),
Pour qu'il puisse boire son petit verre de liqueur, 
Apportez-lui une "plate bouteille" (bouteille d'eau de vie) 
Et pour maman un bon gâteau

Savez-vous aussi ce que j'aime?
C'est des petits pots à la crème 
Ou à la confiture,
Je vous l'ai dit, je ne suis pas gourmand.
Pour compléter ma demande,
Mettez quelques sachets d'amandes. 
Comme mon cabas est fort grand,
Mettez aussi quelques gâteaux.

Mon cabas sera rempli
De foin, de chardons, d'orties
(...) 
Pour votre âne s'il a faim. 
Je mettrai, s'il a soif,
Un seau (...).
Et je serai gentil (...)
Pour que vous ne m'oubliez pas!

Traduit à partir de la chanson Binamé Sint-Nicolèye de Nicole Moor-Andrien, collectée par Françoise Lempereur à Feneur (Dalhem) en 1972.

Le 6 décembre

Oscar Colson nous rappelle qu'il n'est pas rare, jusqu'au début du 20ème siècle, que les maîtres et maîtresses d'école octroient aux écoliers une journée de congé pour qu'ils puissent profiter en famille et entre amis de leurs nouveaux jouets.  Cela permet de laisser retomber quelque peu l'effervescence mais pas pour longtemps... car Noël n'est pas loin !


Sources :

  • E. Matthieu, Les patrons des écoliers en Hainaut, dans Wallonia, t. 9, 1901, p. 238-240.
  • H. Bragard, La Saint-Nicolas à Malmedy, dans Wallonia, t. 9, 1901, p. 285-292.
  • O. Colson, Saint Nicolas, bienfaiteur de l'enfance, dans Wallonia, t. 5, 1897, p. 189-199.
  • O. Colson, Saint Nicolas, Bienfaiteur des enfants et des jeunes filles, dans Wallonia, t. 6, 1898, p. 181-187.
  • O. von Reinsberg-Düringsfeld, Traditions et légendes de la Belgique, Bruxelles, 1870.
  • F. Lempereur, Saint Nicolas, de l'histoire à la légende, Liège, 2009 (https://culture.uliege.be, consulté le 4/12/2023).