Tremblez, pauvres mortels ! À l'occasion de la fête d'Halloween, Melchior vous glace le sang en convoquant les terribles macrales, ces sorcières wallonnes épouvantables et répugnantes. Découvrez une chanson complète de 10 strophes, avec la version wallonne et la traduction française, ainsi qu'un collectage de Françoise Lempereur, réalisé en 1975 auprès de Charles Poncin (1928-2013).
En cette fin de mois d'octobre, nous vous proposons une édition spéciale de votre désormais traditionnelle chronique Li bokèt do Vinr'di, avec une chanson longue de 10 strophes : "Lès macrales di Wèrpin". Ces sorcières emblématiques du folklore wallon se réunissent lors d'atroces sabbats et sont tenues responsables des divers maux qui accablent les gens, et notamment de la venue de l'hiver. Certains villages, comme celui de Haccourt, ont encore des compagnies folkloriques de macrales qui organisent un Sabbat chaque année. D'autres les brûlent symboliquement à la fin de l'hiver.
Cette chanson s'inscrit dans le folklore du village de Werpin (commune d'Hotton, dans la province du Luxembourg). Il s'agit d'une paskèye (chanson satirique) dirigée contre les habitants du village voisin, Ny (ancienne commune de Soy, aujourd'hui d'Érezée), appelés "macrales".
La traduction est de Xavier Bernier, aidé par Bernard Louis et Baptiste Frankinet, après consultation d'un recueil de Roger Pinon : "Ainsi chantait le pays de l'Ourthe". Nous remercions tout particulièrement Xavier Bernier et Baptiste Frankinet pour leur collaboration régulière à la chronique.
1. Tot rim’nant d’ Wèrpin
Nos montins bon trin
Nos fôrins surpris
Dè veûy à nos pîds
Dès grantès loumerotes
Qui pwèrtint dès cotes
Èt dès vîs jupons
Gårnis d’ tos botons
2. Cès vilin.nès bièsses
Pwèrtint so leûs tièsses
Dès grands vîs tchapês
Avou badjolèts 1
Pus d’ cinquante macrales
Fîzint cârnaval
Èles djouplint tortotes
Tot dansant l’maclote 2
3. Èles-avint dès rôbes
Coleûr di sirôpe
Dès bètchous solés
Dès jupons trâwés
Èles-avint dès guètes
Dès tchåsses à hozètes
Dès bèrikes di pîre
Dès boudjes à lêcîre
4. Èles-avint dès dj’vês
Come dès pwèls di tchèt
Èles-avint dès dints
Come dès brokes di tchin
Dès crèt’lês so l’ front
Dèl baube å minton
Dès-oûy come on tchèt
Dès-ongues à havèt
5. Èles nos m’nint c’mander
Nos fala roter
Lès sûre tot fin dreût
Djusqu’ad’lé l’ grand feû
Nos tron.nins, t’ fî sûr
Dè vèy li Grand Neûr
Qui c’mandéve sès djins
À grands côps d’ trèyin
6. Quand ’l ôrint fêt l’ rond
Au son dès violons
Lès pus vîhes s’assyint
Lès djon.nes lès hoûtint
Mére abèsse pårla
Come in-avocat
Dina sès consèy
Po miner leû vèye
7. « Po-z-èsse bone macrale
- Dimandez-l’ å djåle
Qu’èst vocî prézint -
I n’ fåt pus nou dint
’Fåt fé come lès vîhes
Divins l’ cou d’ l’èglîse
I fåt s’acropi
Dizos l’ bènitî
8. Qwand c’èst qu’ so l’ mèstî
Vos sèrez-instrwîts
Vos-årez vos tahes
Rimplèyes di camâtches
Avou cès machins
Vos stronlerez lès djins
Vos-årez lès grands
Si vite què l’s-èfants »
9. Li vî Neûr rohia6 :
« Voci co traze plats ! »
On tapadje d’infèr
« Si n’s-avins dès vêres ! »
Di fwace qu’èles djouplint
Lès djon.nes si d’pîhint
Lès vîhes, pus rassîtes
Zèles, n’ôrint qui l’ hite
10. Qwand s’ fôt po s’ qwiter
Qu’ tot fôt ralètché
Li vî Neûr brådela
Tot l’ monde si såva
Lès djon.nes come lès vîhes
Corin.n’ t-avau l’ trîhe
Nos-ôtes nos-ôrins
L’ mèhnê po l’ payemint
1. En revenant de Werpin
Nous montions bon train
Nous fûmes surpris
De voir à nos pieds
De grandes loupiotes
Qui portaient des jupes
Et de vieux jupons
Garnis seulement de boutons
2. Ces vilaines bêtes
Portaient sur la tête
De grands vieux chapeaux
À bavolets
Plus de cinquante sorcières
Faisaient carnaval
Elles sautillaient toutes
En dansant la maclotte*
3.Elles avaient des robes
Couleur de sirop
Des souliers pointus
Des jupons troués
Elles avaient des guêtres
Des bas à housettes 3
Des lunettes de pierre
Des chemises à lacet
4. Elles avaient des cheveux
Comme des poils de chat
Elles avaient des dents
Comme des crocs de chien
Des rides sur le front
De la barbe au menton
Des yeux de chat
Des ongles à crochet
5. Elles venaient nous commander
Il nous fallut marcher
Les suivre tout droit
Jusqu’auprès du grand feu
Nous tremblions, bien sûr
De voir le Grand Noir5
Qui commandait à ses gens
À grands coups de trident
6. Quand elles eurent fait la ronde
Au son des violons
Les plus vieilles s’assirent
Les jeunes les écoutèrent
Mère abbesse parla
Comme un avocat
Donna ses conseils
Pour mener leur vie
7. « Pour être une bonne sorcière
- Demandez-le au diable
Qui est ici présent -
Il ne faut plus aucune dent
Il faut faire comme les vieux
Dans le fond de l’église
Il faut s’accroupir
Sous le bénitier
8. Quand sur le métier
Vous serez instruits
Vous aurez les poches
Pleines d’objets
Avec ces machins
Vous étranglerez les gens
Vous aurez les grands
Aussi vite que les enfants »
9. Le vieux Noir cria d’une voix caverneuse
« Voici encore beaucoup de plats ! »
Un tapage d’enfer
« Si nous avions des verres ! »
À force de sautiller
Les jeunes urinaient
Les vieilles, plus rassises
Elles, n’eurent que la diarrhée
10. Quand ce fut pour se quitter
Que tout fut reléché
Le vieux Noir eut chaud
Tout le monde se sauva
Les jeunes comme les vieilles
Couraient par la friche
Nous autres, nous eûmes
Le rhume de cerveau pour paiement
1 Bavolet : ancienne coiffure de paysanne couvrant les côtés et l’arrière de la tête.
2 La maclote ou matelotte est une danse traditionnelle de Wallonie. Elle est citée par Apollinaire dans le poème Marie (Alcools, 1913) ; ce texte a été mis en musique par Francis Poulenc dans le cycle Sept chansons, pour chœur mixte a cappella. Le poète séjourna plusieurs fois dans la région de Stavelot et consacra plusieurs poèmes aux souvenirs de ces séjours. Citons Fagnes de Wallonie, et Mareye. Ce mot désigne également un têtard.
3 Les housettes sont des sortes de jambières.
5 Le Grand Noir = le diable !
6 Littéralement : « toussa ».
Pour aller plus loin, voici une interview qui est restée dans les annales de la Sonuma. On y voit les gamins du village, à qui on demande s'il y a encore des macrales.
Melchior