Le cramignon est une danse (et une musique) emblématique de la région de Liège et de Basse-Meuse. Vêtus de leurs plus beaux atours, garçons et filles défilent dans les rues en chaîne en chantant. Même si cette tradition se maintient de nos jours, elle a subi de nombreuses transformations au cours du temps.
Reconnu depuis 2019 comme chef-d'œuvre du patrimoine oral et immatériel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la tradition du Cramignon est très ancienne. Selon Aurélie Giet, spécialiste des danses et musiques traditionnelles de Wallonie (et membre du comité scientifique de Melchior), la plus ancienne attestation que l'on en ait provient d'un moine de Liège, qui témoigne en 1404 d'une "danse avec chants", sous la forme d'une chaîne qui serpente à travers la ville. Le cramignon en tant que tel serait apparu au 17e siècle et aurait connu son apogée à la fin du 19e siècle, d'après Alain Dethise, auteur de l'ouvrage "Les cramignons en Basse-Meuse". À cette époque, on retrouve la danse dans toute la province de Liège, jusque dans les Ardennes.
Le cramignon se danse sous la forme d'une chaîne ouverte (par opposition aux chaînes fermées des rondeaux, en cercle). Les danseurs sont en habits de fête et se donnent la main. Les hommes et les femmes, en alternance, défilent dans les rues en suivant une trajectoire en zigzag qui rappelle la forme d'une crémaillère (crama en wallon), d'où provient le mot "cramignon". Celui-ci désigne à la fois la danse et la musique chantée qui l'accompagne. La chaîne est obligatoirement conduite par un meneur, appelé capitaine, qui porte un bouquet de fleur ou un long bâton dans la main gauche. Il est accompagnée par sa cavalière, que l'on nomme la fillette. Celui qui clôture la chaîne est appelé le lieutenant et il tient un bouquet dans la main droite.
En principe, le cramignon est chanté. Le premier vers de chaque strophe est toujours répété deux fois : le capitaine l'entonne et les danseurs le reprennent en chœur. On retrouve par exemple cette structure dans l'air ultra connu "L'avez-v' vèyou passer?", dont nous avons traduit une version dans le cadre de la chronique "Li bokèt do vinr'di".
Traduction française du wallon :
Il s'agit ici d'une version raccourcie. La version originale, écrite en 1856 par le poète liégeois Nicolas Defrecheux, compte pas moins de 23 strophes. Ce texte a valu à son auteur de remporter le concours de poésie wallonne organisé pour les 25 ans du règne de Léopold 1er.
Autre exemple de cramignon, bien de saison : "Voici le printemps, mon cousin". Nous y consacrions un article l'année dernière : découvrez-le ici.
Coll. Julien Maréchal © IMEP
Vers le cramignon d'aujourd'hui
La zone d'influence du cramignon a fortement régressé au 20e siècle, pour se restreindre à la région de Basse-Meuse et au sud du Limbourg néerlandais.
Alors que le cramignon original est normalement uniquement chanté, la tradition a évolué en Basse-Meuse, où il a commencé à être accompagné par une fanfare : on parle alors plutôt de bran (ou branle). C'est en fait de cette forme que relève le cramignon tel qu'on le pratique encore aujourd'hui, où la fanfare s'est imposée en rompant en partie avec le répertoire traditionnel et avec le chant, comme dans cette archive de la RTBF datant de 1975.
Progressivement, tout un folklore s'est développé autour de sociétés de cramignon rivales qui se sont formées : les Rouges (chrétiens) et les Bleus (socialistes et laïcs). L'habillement a également évolué plus tardivement, au point de devenir un élément central du cramignon : les jeunes filles ont commencé à porter des robes longues de plus en plus extravagantes, au point de donner au cortège des airs de défilés de mode.
Le cramignon a désormais une fonction plus récréative qu'à l'origine : les exécutants n'ont plus conscience de son ancienne signification rituelle. Il s'agit maintenant avant tout de passer du bon temps ensemble avec les siens.
Pour en savoir plus sur le cramignon aujourd'hui, découvrez la superbe vidéo du Musée des Instruments de Musique de Bruxelles (MIM) :
Antoine Danhier