Le grand jour est arrivé ! Après 5 jours de cheminements au côté du Grand Saint, revenons sur sa légende la plus célèbre et sur ses variantes ! Saviez-vous que l'histoire n'a pas toujours été celle de trois enfants innocents victimes d'un boucher meurtrier ?
Ils étaient trois petits enfants,
qui s'en allaient glaner aux champs.
Tant sont allés, tant sont venus,
que sur le soir se sont perdus.
S'en sont allés chez le boucher :
"boucher voudrais-tu nous loger ?"
Tel est le début de la plus célèbre chanson retraçant le miracle le plus connu de saint Nicolas. Particulièrement répandue, elle existe en de multiples versions et a été traduite en plusieurs langues, même si sa langue d'origine est bien le français. La chanson n'est d'ailleurs pas absente des collectages présents sur le site de Melchior :
Petit rappel de l'histoire : le boucher accueille les enfants, mais ils ont à peine le temps d'entrer qu'il les assassine, les découpe en morceau et les jette au saloir. 7 ans plus tard, saint Nicolas est de passage dans la contrée et demande à son tour l'hospitalité. Le boucher la lui accorde et lui propose divers repas, mais le Grand Saint n'en veut pas : "Du petit salé, je veux avoir qu'il y a sept ans qu'est au saloir". Le boucher prend ses jambes à son coup, mais saint Nicolas lui dit de se repentir et qu'il sera pardonné. Il va au saloir, étend trois doigts et les trois enfants se lèvent, ressuscités.
On affirme parfois que ce boucher serait devenu le père fouettard.
Dans certaines versions, il y a un autre personnage : l'épouse du boucher. Dans ce cas, le boucher refuse dans un premier temps l'hospitalité : "allez, allez, mes beaux enfants, nous avons trop d'empêchements", et c'est elle qui le conseille, voire qui lui suggère le crime : "Mais sa femme qu'était derrière lui bien vitement le gourmandit". Et parfois, c'est sur elle que saint Nicolas reporte la faute.
C'est le cas dans cette chanson d'archive, beaucoup moins connue et sur un tout autre air :
"Boucher, boucher ne t'en va pas, demande pardon à Dieu, tu l'auras ; mais pour ta femme, ne l'auras pas, c'est elle qui t'a conseillé ça."
1951 Saint Nicolas à La Miséricorde ©Arvia
Aux origines de la légende
Cette histoire est cependant apparue tardivement .
Au départ, saint Nicolas aurait été l'évêque de Myre, une ville commerçante de Lycie, située au bord de la Méditerranée. Elle correspond à la ville actuelle de Demre, en Turquie. On le connaît par une série de textes, dont le tout premier est celui d'Eustrate au VIe siècle, un prêtre de Constantinople qui dit s'inspirer d'un récit de vie de saint aujourd'hui disparu. Il raconte la délivrance miraculeuse de 3 officiers byzantins injustement emprisonnés par l'Empereur Constantin.
D'après ce texte et ceux d'autres auteurs au VIIIe et IXe siècle, on croit que saint Nicolas serait né vers la fin du IIIe siècle après Jésus-Christ (époque de Constantin), à Patare en Lycie, et décédé vers 340. Certaines sources avancent qu'il aurait participé au Concile de Nicée, première grande réunion de toutes les communautés chrétiennes, pour éviter un schisme en condamnant l'arianisme, doctrine hérétique qui professe que le Fils est subordonné au Père, et affirmer que Père et Fils sont consubstantiels.
Néanmoins, l'histoire de saint Nicolas semble avoir été amalgamée à celle d'un autre Nicolas : Nicolas de Sion, qui a vécu au VIe siècle. Lui aussi était évêque, mais de Pinare, une autre ville de Lycie. Il aurait été actif à Myre.
Si les chrétiens d'Orient vénèrent saint Nicolas dès l'origine, ce n'est que vers les IXe ou Xe siècles que son culte arrive en Occident. Mais dès le XIe siècle, il prend de l'ampleur, suite au déplacement des reliques de Myre à Bari, au Sud de l'Italie actuelle. On raconte par ailleurs qu'un chevalier lorrain aurait rapporté une phalange du saint à la ville de Port, donnant lieu au très populaire pèlerinage de Saint-Nicolas-de-Port, en Lorraine.
1956, Saint Nicolas à La Miséricorde © Arvia
De nombreux miracles
Saint Nicolas est l'objet de tant de miracles qu'il est devenu non seulement le saint patron des écoliers, mais aussi celui des commerçants, des marins, des avocats, des boulangers (d'où les biscuits à son effigie) et des célibataires.
On parle ainsi de marins sauvés de la tempête par l'apparition de saint Nicolas qui guide le bateau. D'un jeune garçon enlevé par les Sarrasins pour servir à la table de l'Émir, qui est miraculeusement transporté dans la maison de ses parents le jour de la fête de saint Nicolas, une coupe encore à la main. D'un païen (un Vandale) qui voulait protéger sa fortune à l'aide d'une effigie de saint Nicolas ; des cambrioleurs l'ayant dérobée, il s'en prend à l'effigie et saint Nicolas leur apparaît pour leur ordonner de la rendre, après quoi le païen se convertit.
Mais, dès le départ, beaucoup de légendes mentionnent trois personnages : trois officiers injustement condamnés et sauvés de la mise à mort, trois innocents libérés, trois Crétois sauvés, trois chrétiens secourus en mer. Et bien sûr, on retrouve la légende qui serait à l'origine de la tradition plus tardive des souliers et des pièces en chocolat : trois jeunes filles que leur père s'apprête à prostituer, faute d'argent pour payer leur dot. Pendant 3 nuits, saint Nicolas leur jette une bourse par la fenêtre pour leur permettre de se marier.
Vers 880, Jean Diacre (Johannes Diaconus, un Napolitain) écrit le premier récit en latin racontant la vie et les miracles de saint Nicolas. Son œuvre aura beaucoup d'influence et sera reprise et transformée à de nombreuses occasions, en latin et en français.
Dans la foulée, de nouvelles légendes se développent : celle de l'enfant à la coupe précieuse, du chrétien malhonnête et du juif, du nourrisson brûlé, de l'enfant étranglé par le Diable...
C'est alors qu'on voit apparaître le marchand au saloir : un marchand itinérant, assassiné par le tenancier de l'auberge dans laquelle il fait étape, découpé et entreposé dans un saloir avant d'être ressuscité. Et enfin, la légende des trois clercs (jeunes ecclésiastiques), véritable ancêtre de celle des trois petits enfants : ils sont assassinés par leur hôte pour diverses raisons (comme le pillage de leur bien), puis découpés, mis au saloir et ressuscités par saint Nicolas.
Cette légende tend même à se confondre dans l'iconographie et les chansons avec celle des 3 jeunes filles à la dot, dont on fait parfois les victimes.
Saint Nicolas à Herve, © Arvia
L'évolution d'une légende
En bref, la légende des trois ressuscités n'est qu'un miracle parmi d'autres, composés d'éléments qui parfois s'échangent d'une histoire à l'autre. Le synopsis d'origine est simple : trois personnages assassinés par leur hôte sont ressuscités par saint Nicolas. Ils sont au départ des clercs (qui rappellent eux-mêmes les trois innocents emprisonnés) et deviennent par la suite des enfants, l'innocence même.
Une évolution qui reste visible à travers les chansons, leur richesse et la variété de leurs versions et qui témoigne de l'extraordinaire vivacité de cette tradition en Europe.
Joyeuse Saint-Nicolas !
Antoine Danhier